La mesure du monde

Noté 5.00 sur 5 basé sur 4 notations client
(4 avis client)

15,00

Coup de cœur 2020 de l’Aérobibliothèque !

Guillaume Bertrand a commencé sa carrière comme pilote de travail aérien. Pendant cinq ans, aux commandes de bimoteurs à pistons ou à turbines, il a assuré le relais télévisé du Tour de France cycliste, accompagné une équipe de scientifiques pour recenser les espèces marines en Polynésie, cartographié des régions entières d’Europe, d’Afrique ou du Moyen-Orient.

Dans ce livre, il raconte ce métier méconnu, propice aux longs voyages. Des îles Marquises au Nigeria, d’Abu Dhabi au Groenland, de l’Afrique du Sud au Canada, nous le suivons au cours de ces vols très spécifiques ainsi que sur les convoyages entrepris pour relier entre eux les différents théâtres d’opérations.

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Description

Extrait. Nous sommes à Lagos, au Nigéria :

J’arrive à l’avion juste avant l’heure du rendez-vous. Je suis censé retrouver ce matin l’observateur militaire de la Nigerian Air Force qui sera à bord pour tous mes vols sur le territoire. Nous faisons des relevés topographiques à basse altitude, il sera chargé de vérifier que nous ne survolons pas de zones sensibles. J’aurai préféré voler avec une carte aéronautique locale moins encombrante qui ferait état desdites zones sensibles, mais ça n’existe pas ici. Lorsque mon soldat fait irruption sur le parking, entre un 727 dépravé et un Brasilia plus très frais, je suis franchement déçu. Je l’avoue, je m’attendais à un de ces colosses sortis des films hollywoodiens. Ceux avec des bras énormes qui sortent d’un uniforme sans manche, une paire de Ray-Ban en or sur le pif, et un béret kaki visse sur le crâne. Avec un cigare de préférence. Et une kalache bien sûr, avec deux cartouchières croisées sur le torse, et même un ou deux Desert Eagle au ceinturon. Au lieu de ça, Alfred s’avance avec bonhommie et ventripotence et me gratifie d’un sourire jovial en s’essuyant les mains sur son maillot de foot, avant de me tendre un formulaire. Il m’explique que j’aurai à le remplir plus tard. Je lui rends son chaleureux sourire et lui tends un petit sac en papier: je lui indique que lui aussi aura sans doute à le remplir, plus tard.

Après avoir salué tout le monde présent sur le parking comme il se doit, après avoir vérifié la qualité de l’essence, après avoir convenu avec Alfred que oui, c’est un petit avion et que non, il n’y aura pas de service à bord après le décollage, après avoir revérifié l’essence et resalué tout le petit monde autour de l’avion, après avoir finalement obtenu une copie de mon plan de vol pour ma mission de photo aérienne (oui bien sûr, j’avais demandé 1000 ft, mais FL350 c’est bien aussi), après m’être assuré que sa Majesté accorde son auguste et royal consentement concernant les relais GPS, après avoir obtenu des agents au sol les météos de Dakar et Khartoum puisque la station météo de Lagos ne répond pas, je ferme les portes de ma monture.

Puissance décollage, rotation, le train qui rentre. 1000ft-stabilisé comme à l’époque, 240 kts parce que je n’ai pas que ça à faire, ma trottinette avale les kilomètres et file au-dessus du chaos urbain. A l’arrière, mon opérateur Meshak a un quart d’heure pour mettre en route le matériel et paramétrer la mission du jour. Pour ma part, les aiguilles dans le vert, bercé par le doux ronron de PT6 manifestement bien-portantes, je m’installe confortablement pour assister à ce spectacle extraordinaire dont je ne me lasse pas. C’est la terre vue du ciel sur grand écran, les émissions du National Geographic à la demande. Même en volant des jours et des jours sur le même territoire, le paysage n’est jamais le même. Survolez une plaine forestière en Suède par grand bleu, vous verrez un paysage complètement diffèrent le lendemain avant l’orage, et encore un autre le jour suivant dans la brume.

13h00, c’était la pire heure pour décoller. La chaleur est étouffante, la convection bat son plein et les turbulences sont omniprésentes en basses-couches. Alfred est aussi pâle que peut l’être un Nigérian pure souche, je crois qu’il repense à cette histoire de formulaire. Nous survolerons aujourd’hui une bande de terre sur la côte sud du Nigeria, coincée par la mer au sud et par le bras de rivière du Lekki Lagoon au nord. Un bloc de lignes espacées de 300m les unes des autres, sur 25 kilomètres de long.

14h00, nous sommes sur zone depuis un moment déjà. Le pilotage est exigeant, les pompes et autres dégueulantes sous les cumulus rendent encore plus difficile un vol déjà compliqué par une visibilité qui n’excède pas quelques kilomètres. Pendant les virages j’observe l’activité de quelques villages de pêcheurs sur la plage. Visiblement la pêche se termine pour eux, je remarque au fil des lignes de plus en plus de barques remontées sur la plage.

15h00, nous avons migré de quelques kilomètres vers le Nord. L’air est toujours vivant. Les cumulus sont au plus fort de leur développement, on voit clairement des averses à quelques nautiques au nord de notre position. J’imagine qu’au sud-est, le delta du Niger doit alimenter des CB gigantesques qui à cette heure se déversent certainement en pluies torrentielles sur Port-Harcourt.

16h00, les rangées de palmiers côtiers ont laissé place à un forêt disparate. Des acajous dépassent de massifs arborés d’un vert intense. Entre ces tout petits bouts de jungle basse, quelques villages sont parfois reliés entre eux par un réseau de pistes en latérite. Puis c’est le forêt humide, avec ses palétuviers en bord de fleuve et la mangrove que l’on devine sous la canopée.

17h00, mon heure préférée. Apres plus de trois heures sur axe le cerveau est passé en mode cruise, il économise lui-même son énergie. L’air est maintenant complètement calme, et l’avion allégé de 2000 livres de jet réagit à la moindre de mes sollicitations. Les derniers facto-cumulus achèvent de se disloquer, les rayons de soleil percent de plus en plus difficilement la brume qui nous encercle. Nous survolons désormais un petit village lacustre, quelques maisons de tôle organisées autour de deux pontons où clapotent une demi-douzaine de barques.

17h30, malgré l’absence de nuages je perce aux minima de l’ILS. Dix jours d’Harmattan ont recouvert la ville de sable et de poussière sur plusieurs kilomètres d’épaisseur ; les particules de pollution produites par Lagos sont autant de noyaux de condensation, les 85% d’humidité s’en donnent à cœur joie. Train sorti trois vertes, cleared to land 18L.

Accoudé à la fenêtre de mon taxi, j’observe cette ville qui n’en finit pas de m’étonner. A chaque carrefour, des fonctionnaires en uniforme tentent de faire respecter un code de la route inexistant. D’après mes observations, la population locale se divise en trois catégories : ceux qui ont accepté l’abandon de la circulation à gauche dans les années 70, ceux qui continuent de croire que manifestement c’était mieux avant, et enfin la foule immense des indécis. Lagos est enivrante, effrayante, attachante, angoissante. Un mois que je suis ici et je ne m’y fais pas: après chaque trajet en voiture au milieu des piétons, des minibus, des voitures en sens inverse sur les voies rapides, je descends avec la marque de mes ongles incrustés dans la paume de ma main…

Informations complémentaires

Poids 450 g
Dimensions 0.3 x 13 x 20 cm

4 avis pour La mesure du monde

  1. Note 5 sur 5

    Patrick COSNARD (client confirmé)

    Joli récit qui fait rêver ! Le travail des “ouvriers” de l’air est aussi le plus beau métier du Monde.

  2. Note 5 sur 5

    GL

    Excellente écriture, excellent livre et histoires originales ouvertes au grand public. Haletant, on en redemande.
    Merci pour cet ouvrage, aérien et spirituel;

  3. Note 5 sur 5

    Paul Rameau (client confirmé)

    Guillaume Bertrand a un immense talent pour raconter toutes ces histoires d’aviation. Que de belles aventures ! Merci d’un ancien travailleur aérien à qui tout cela rappelle d’excellents souvenirs !

  4. Note 5 sur 5

    Jacqueline (client confirmé)

    Magnifique, merci pour les récits et les détails qui permettent de s’évader, tranquillement installée devant le crépitant feu de cheminée.

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